Peux-tu nous résumer les étapes de ta carrière ?
Je suis Éducateur spécialisé, diplômé en 2004. J’ai commencé à travailler dans un Foyer pour adolescents pendant 4 ans, puis dans une association s’occupant de transsexuels en état de précarité, avant de rejoindre une association catholique intervenant dans le domaine de la précarité de jeunes prostitués ou braqueurs. J’y suis resté 4 ans avant de rejoindre un CHRS dans la mouvance du Secours Catholique, puis d’arriver à la Péniche.
Comment définirais-tu ton rôle auprès des hébergés ?
Je suis une béquille sur laquelle ils s’appuient. L’objectif est qu’ils marchent seuls. Alors je les accompagne pour des démarches visant à l’ouverture de leurs droits, pour un parcours de soins ; je cherche leurs points forts pour les valoriser, nourrir leur estime de soi souvent fissurée.
Quels outils a-t-on pour resocialiser des hommes sans domicile ?
La base de tout, c’est la domiciliation. Beaucoup n’ont plus leurs papiers, donc, pas d’accès à Pôle Emploi, pas de CMU, c’est notre premier travail. Et puis les séjours de rupture nous apportent beaucoup. Lorsqu’on emmène un groupe d’hébergés à Vaunières, dans les Hautes-Alpes, ils travaillent sur différents chantiers avec des gens de tourtes origines, dans un esprit de solidarité et de partage. Cela leur permet de sortir de la précarité qu’ils fréquentent au quotidien. Le lien avec les Bénévoles est aussi un puissant outil de resocialisation.
Quel type d’objectifs leur proposes-tu ?
En réalité, on les pousse à choisir et fixer eux-mêmes leurs objectifs. Nous voulons qu’ils soient ou qu’ils redeviennent des acteurs de leur existence. Et ces objectifs sont inscrits dans leur contrat. Par exemple, se soigner afin d’être à nouveau employable, ou accomplir les démarches destinées à leur redonner un titre d’identité. Et ce n’est pas si simple. Il arrive qu’ils refusent mon aide, mais n’aient rien fait après plusieurs semaines. Leur volonté de s’en sortir est fondamentale.
Penses-tu que certains cas sont désespérés ?
Aucun cas n’est désespéré. En revanche, il peut arriver que la Péniche ne soit pas la bonne solution pour les aider à s’en sortir. Il arrive qu’on les maintienne dans une mauvaise situation, et qu’on entretienne un état plutôt que de les aider à en sortir. Dans ce cas, il faut les orienter rapidement vers une structure plus adaptée.
Le fait de les laisser dehors entre 9 et 17 h répond-il à un besoin éducatif ?
Non, pas du tout. Pour ceux qui travaillent, c’est neutre. Pour les autres, il y a un vrai risque qu’ils se blindent en buvant pour supporter leur errance.
Quand considères-tu qu’une sortie est positive ?
Lorsqu’elle correspond au désir de la personne. Souvent la Résidence sociale est une étape qui marque une vraie progression. Il s’agit de solutions d’hébergement temporaire dans des logements meublés autonomes, avec également quelques espaces collectifs. Mais pour accéder à une résidence sociale, il faut pouvoir payer la redevance mensuelle. Avec un RSA pour seul revenu, cela n’est pas possible.
Quel critère te permet d’être optimiste sur la reconquête totale de son autonomie par un hébergé ?
L’envie. Celui qui me sollicite, qui veut être acteur de son existence, qui respecte ses objectifs, s’en sortira plus sûrement que celui qui s’installe dans sa situation, sans vraiment chercher à s’en sortir. J’aime qu’un hébergé me dérange, veuille me voir, m’interroge, utilise l’appui que je lui offre.
Comment interpréter le besoin qu’expriment les hébergés de se distinguer à tout prix de leurs voisins ?
C’est une carapace, une armure. Il y a une vraie crainte de l’autre. On voit sa fragilité, et on ne veut pas lui ressembler. Et puis, on peut raconter ce que l’on veut aux Bénévoles, c’est un bon moyen de se valoriser.
Certains ont-ils du mal à quitter la Péniche ?
Oui, certains apprécient la gratuité et l’intimité qu’offre la Péniche. Elles sont rares. Dans la plupart des CHU, les hébergés ne disposent pas d’une chambre individuelle. Mais quelqu’un qui n’a que le RSA ne peut pas accéder à une Résidence sociale. Il faut au moins travailler une quinzaine d’heures par semaine pour qu’avec le complément du RSA Activité, on puisse y prétendre. Mais ceux qui manquent de volonté et de motivation pour s’en sortir peuvent consommer leur RSA en boissons, tabac, drogues. Pour ceux-là, la sortie se fera vers un autre CHU ou au mieux, un CHRS.
Arrive-t-il que l’on refuse un hébergé orienté par le SIAO, et selon quels critères ?
Il est rarissime que l’on refuse un hébergé envoyé par le SIAO. Celui-ci intègre nos demandes : il faut une personne qui adhère à un accompagnement social, et qui ne fasse pas courir de risque au groupe qui sera toujours privilégié. Je n’ai pas souvenir d’un tel cas depuis que je travaille à la Péniche.
Quel est l’apport de la Péniche aux « 115 » ?
Pour ceux qui restent une nuit, il n’y a aucun apport. Pour ceux qui restent jusqu’à 15 jours en période hivernale, cela peut aider. Mais le gestionnaire du 115 nous pousse à ne pas prolonger les séjours, cela n’est pas bon pour ses statistiques sur le nombre de personnes aidées !
En quoi les Bénévoles peuvent-ils t’aider à atteindre tes objectifs ?
Les Bénévoles nous aident beaucoup lorsqu’ils ont une compétence particulière qu’ils mettent au service des hébergés : animation d’ateliers, aide à la resocialisation, cours de langues, etc… Il est essentiel pour que notre complémentarité s’épanouisse, que la méfiance que les travailleurs sociaux peuvent inspirer aux Bénévoles soit désamorcée. J’avoue avoir été blessé lorsque des Bénévoles exprimaient des doutes sur l’aide apportée par les travailleurs sociaux aux hébergés. Humainement, nous sommes très proches. Les Bénévoles voient vivre les hébergés, nous, moins. Comme les Bénévoles, l’Educateur travaille avec ses affects. Il doit réinterroger ses a priori, et être en capacité d’établir la bonne distance par rapport à la personne aidée.